Décrire ou commenter la peinture d’Anne-Marie Gbindoun est un exercice délicat, consistant avant tout à ne pas lui balancer des pavés de l’ours, en dépit de l’admiration que l’on éprouve pour ses créations. On se souvient que lors de sa dernière exposition à Ballens, en février 2013, elle présentait au public ses œuvres réalisées au cours des trois années précédentes. Les éléments figuratifs y apparaissaient déjà avec plus de netteté et c‘était une féerie de couleurs lumineuses, deux nouveautés qui contrastaient avec les compositions plus sombres et plus denses qui les précédaient.
L’exposition actuelle donne un échantillon, en dix-neuf tableaux, du travail de cette dernière année. Elle semble confirmer ce mouvement vers d’avantage de lumière, vers cette façon d’ôter le voile comme elle dit elle-même, cette façon de mettre son cœur à nu- certes avec sa pudeur habituelle. Me semblent révélateurs, par exemple, cet Autoportrait de dos, figure évanescente noyée dans une brume laiteuse, ou cette Madone blanche, transparente et opaque à la fois, comme le négatif d’un film, ou ce Couple verdâtre dont l’une des faces nous sourit alors que l’autre nous toise d’un œil austère.
D’autres confidences nous sont faites avec Sortir de la tête, vision hallucinée d’une tête captive à l’intérieur d’une autre tête, en présence de deux témoins qui ont l’air de ricaner, ou avec La peur, distribuée sur trois figures au pourpre incandescent, ou si vous préférez avec La tête à l’envers, carrousel de faces humaines saisies dans une gelée safranée. L’artiste a utilisé pour cette nouvelle série d’œuvres la technique mixte, qu’elle affectionne et qu’elle maîtrise depuis longtemps. Le trait est, comme d’habitude, magnifiquement libre et puissant. Quand on se mêle de passer en revue ses toiles, cela devient une excursion aventureuse, ou mieux, une « incursion » aventureuse dans l’espace du dedans, pour reprendre la formule de Michaux. Nous progressons au plus intime d’une caverne, munis d’une simple torche, à la recherche de je ne sais motifs pariétaux. Et voilà que des parois surgissent, improbables apparitions, des figures solitaires ou des groupuscules humains. Mais cette fois, on dirait que les lémures d’Anne-Marie Gbindoun osent davantage s’exposer aux lueurs de la torche. Jaillis de l’ombre, les voilà plus incarnés, plus présents et lâchons le mot, plus figuratifs, sans perdre de leur inquiétante immanence.
C’est avec un plaisir teinté évidemment d’appréhension que je me risquerai à commenter les tableaux de cette nouvelle cuvée, en présence de l’artiste et de ses aficionados, dans la belle galerie d’Edouard Roch à Saliens (au demeurant fort bien éclairée et non réductible à une caverne obscure). Le texte ci-joint apporte quelques reflets de l’exposition de l’année passée, et me servira de point de comparaison pour tenter de saisir, avec les personnes présentes, quelques aspects de l’évolution du travail d’Anne-Marie Gbindoun.
Gérard Salem, essayiste et médecin-psychiatre lausannois